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« Rien ne s’oppose à ce que l’hydrogène natif prenne beaucoup d’importance »

Les découvertes de sources potentielles d’hydrogène natif issu du sous-sol et de premières explorations, à l’initiative de laboratoires de recherche ou de start-up, se sont multipliées ces trois dernières années. Comment interprétez-vous cette effervescence ?

L’existence de l’hydrogène naturel est connue de longue date. Quand le sujet a commencé à être approfondi, il y a déjà plus d’une dizaine d’années, notamment par Alain Prinzhofer et Éric Deville, il suscitait peu d’intérêt, et seules quelques rares recherches trouvaient des financements. Deux éléments ont contribué à faire évoluer les choses. D’un côté, au Mali, à la fin des années 2010, le développement d’un projet pilote d’exploitation du gisement naturel de Boukarébougou (découvert en 1987), par un entrepreneur, Aliou Diallo, a mis en défaut les a priori sur l’impossibilité de l’accumulation de ce gaz dans le sous-sol. Par ailleurs, le fort développement des énergies renouvelables a fait émerger un attrait nouveau pour l’hydrogène, vu comme un intermédiaire de stockage de longue durée de l’énergie produite, en complément des batteries. L’idée est d’utiliser l’électricité produite par les filières renouvelables pour produire, avec des électrolyseurs, de l’hydrogène décarboné, dit « vert ». Sauf que les électrolyseurs, en dépit des progrès techniques, restent chers. Mais puisque la volonté de disposer d’hydrogène vert était là, et de développer une filière pour ce gaz… la recherche de sources naturelles est revenue au premier plan.

Comment se développe l’exploration des ressources géologiques d’hydrogène ?

Le cas de Viacheslav Zgonnik est assez exemplaire : ce jeune chercheur, qui travaillait avant dans un cadre académique, a créé sa propre compagnie, Natural Hydrogen Energy ; il a réussi à lever des fonds, et foré un premier puits aux États-Unis en 2019. Pour ma part, à peu près au même moment, en tant que directrice scientifique d’Engie, je commençais, avec Alain Prinzhofer, au Brésil, à mieux comprendre certains indices laissés par l’hydrogène, notamment les fameux « cercles de fées », des zones circulaires dépourvues de végétation, qu’il est possible d’observer depuis l’espace. Avec le Covid, nous avons passé du temps à explorer les vues de Google Earth et constaté que ces cercles de fées étaient plus nombreux en certains endroits du globe – en Australie, par exemple. L’Australie du sud a très vite compris que l’hydrogène naturel était un sujet important, et a remarqué qu’on en avait trouvé dans certains puits déjà forés au début du XXe siècle. Cet État a adapté sa loi, qui autorise désormais l’exploitation de l’hydrogène natif. De nombreuses start-up se sont créées. Le potentiel existe au Brésil, mais la prospection n’y est pas encore possible. Elle est autorisée aux États-Unis (où la start-up Koloma a reçu un financement très important d’un fonds appartenant à Bill Gates), va l’être prochainement en Colombie… En France, les équipes de 45-8 Energy, anciens de Total, ont demandé des permis d’exploration pour l’hélium, ayant observé que ce gaz et l’hydrogène étaient parfois présents en un même site. Puis la loi française a évolué : il est aujourd’hui possible d’explorer le sous-sol dans le seul but d’y trouver de l’hydrogène, inscrit depuis mars 2022 dans le code minier.

Que sait-on aujourd’hui de l’origine de l’hydrogène naturel ?

Les premières observations d’émanation d’hydrogène naturel ont été faites au milieu des océans : la réaction dite « de serpentinisation », dans laquelle des roches issues du manteau terrestre, remontant le long des failles océaniques, sont pour la première fois au contact de l’eau, provoque l’oxydation du fer, et libère de l’hydrogène. Cette réaction est aussi possible à terre, là où des roches profondes dites « mafiques » viennent affleurer ; le phénomène est attesté en Nouvelle-Calédonie ou à Oman, connu depuis longtemps. Une autre source d’hydrogène natif se trouve au sein de certains cratons, quand de l’eau entre en contact avec de très anciennes roches enrichies en fer lors d’épisodes glaciaires, quand l’océan était anoxique. Elles sont appelées « fers rubanés », et sont présentes en Australie, en Afrique du Sud, en Namibie ou encore au Mali.

Outre l’oxydation du fer, en jeu dans les contextes océaniques, mafiques et cratoniques, la radiolyse a, aussi, été identifiée comme source d’hydrogène natif. La radioactivité naturelle de certaines roches casse les molécules d’eau, et libère le gaz. Ce contexte serait celui de certains gisements au Canada et en Afrique du Sud.

Plus récemment, il a été proposé que les roches riches en charbon sont susceptibles de produire de l’hydrogène, de manière analogue à la production du « gaz de ville », ce mélange de méthane, de monoxyde de carbone et d’hydrogène que l’on produisait en chauffant du charbon à haute température. Des chercheurs du Centre allemand de recherche en géosciences (GFZ) ont observé, dans certains bassins houillers en Chine, la production d’hydrogène là où, en profondeur, la température atteint 200 à 250 °C. Cela fait donc un quatrième contexte géologique favorable à l’hydrogène natif.

À la différence des gisements d’hydrocarbures fossiles, ces sources d’hydrogène se renouvellent…

Dans le cas des roches riches en matières organiques, parce que le charbon est une ressource fossile, non : une fois l’hydrogène produit, le charbon est consommé. Mais dans les autres cas, le gaz provient de la réaction de l’eau avec la roche, on peut s’attendre effectivement, donc, à un flux continu, même s’il reste beaucoup d’incertitudes sur ce point. Le paramètre important est, en fait, la vitesse de la réaction produisant l’hydrogène. La radiolyse est un phénomène lent : il faudrait identifier, aux endroits où il se produit, des configurations géologiques favorisant l’accumulation du gaz dégagé. Dans les contextes d’interaction de l’eau avec des roches riches en fer, le processus est continu, les températures élevées et la réaction rapide : dans tous les volcans d’Islande et dans toutes les centrales géothermiques, il y a des flux d’hydrogène.

En quoi l’exploitation d’un gisement d’hydrogène naturel diffère-t-elle de celle d’un gisement pétrolier ou gazier classique ?

Il y a des chances que les installations d’extraction d’hydrogène s’apparentent davantage à ce qui se pratique dans la géothermie. Dans les deux cas, en effet, la recharge en fluide est continue, et il faut adapter la production à la vitesse de cette recharge. Les critères favorables, par ailleurs, seront une porosité correcte de la couche rocheuse, et la présence d’une roche de couverture, relativement imperméable, pour disposer d’une accumulation de l’hydrogène. La qualité des formations rocheuses susceptibles d’être imperméables, à présent que l’on s’oriente vers un contexte de production industrielle, fait l’objet de recherches actives. Celles-ci s’appuient notamment sur ce que nous apprennent les puits existants, forés pour une exploitation d’hydrocarbures. Au Mali, l’hydrogène est piégé sous une couche de roche volcanique, de la dolérite ; aux États-Unis, sous des couches d’argile. Sans surprise, c’est pour les lieux où la présence d’hydrogène est observée de longue date que les permis d’exploration se multiplient. Les deux premiers délivrés à la société australienne Gold Hydrogen, par exemple, vont servir à reforer deux puits où la présence d’hydrogène avait été constatée il y a cent ans. Dans les Pyrénées, les prospections se font sur les lieux de fuites observées, en surface, au débouché de certaines failles.

Est-il possible d’accélérer la production d’hydrogène en injectant de l’eau dans les roches ?

L’Ifpen avait proposé, il y a plusieurs années, de produire de l’hydrogène en faisant réagir des déchets de mines. En Nouvelle-Calédonie, les résidus rocheux dont est extrait le nickel, par exemple, sont très chauds, à la suite d’un traitement à 1 000 °C. Actuellement, une start-up, Hymag’in, à Grenoble, fait réagir des déchets sidérurgiques avec de l’eau, pour produire de la magnétite et de l’hydrogène. Aux États-Unis, l’approche est très différente : l’expérience des gaz de schiste est celle de puits avec injection d’eau. Des réflexions sont en cours pour transposer ce savoir-faire et produire ainsi de l’hydrogène « orange » : ce ne sera pas du gaz naturel !

L’hydrogène extrait nécessite-t-il d’être traité ?

Cela va dépendre des cas. Prenons d’abord le contexte des processus liés à des installations géothermiques. Avec mon équipe, nous avons notamment travaillé à Larderello, en Italie [cette unité de production fournit l’électricité consommée par environ 1 million de foyers en Italie, ndlr], et étudié le potentiel du rift d’Asal-Ghoubbet, à Djibouti. Ce sont deux exemples de contextes géologiques où l’on peut se « contenter » de capter l’hydrogène dans le fluide géothermal. Il y est présent en faible proportion, autour de 3 % environ. Le reste, c’est essentiellement de l’eau chaude, et éventuellement des gaz moins « sympathiques », comme le CO2. En général, le flux contient aussi de l’azote, et il peut y avoir du sulfure d’hydrogène (H2S). Actuellement, dans les puits géothermiques, on sait parfaitement séparer ces gaz, d’autant plus que le flux est important et la température, élevée. Les procédés, maîtrisés, sont courants – à ceci près que jusqu’ici l’hydrogène n’est pas conservé, il est relâché dans l’atmosphère, et le CO2 et l’H2S réinjectés.

Le cas du puits exploité au Mali est différent. Le flux émergent est composé à 98 % d’hydrogène. Jusqu’ici, à ma connaissance, il a été brûlé directement pour faire fonctionner une turbine produisant de l’électricité. La combustion d’un gaz qui n’est pas complètement pur ne pose pas de problème – les constructeurs de turbine savent les adapter. Si l’on souhaite, en revanche, utiliser ce gaz pour alimenter une pile à combustible, il est nécessaire d’atteindre une pureté plus élevée et, par conséquent, de séparer l’hydrogène des impuretés. Une dimension légale peut intervenir dans le choix de séparer ou non les gaz issus d’un puits. Si vous êtes aux États-Unis, et que vous trouvez du méthane et de l’hydrogène, vous les séparez, puis vous vendez les deux. En France, si quelqu’un disposant d’un permis pour l’hydrogène trouve un mélange méthane-hydrogène, il n’aura sans doute pas l’autorisation de produire le méthane. Il devra séparer les deux gaz et réinjecter le méthane d’où il vient. Le coût de la séparation doit être pris en compte dans l’économie de l’extraction de l’hydrogène natif. Cependant, il faut garder en tête que dans le cas de sa production par reformage du méthane – méthode courante de production d’hydrogène aujourd’hui –, le tiers du coût de l’hydrogène obtenu correspond au coût du méthane, un autre tiers à la chaleur nécessaire à la réaction chimique, et un autre tiers à la séparation.

Quel est le potentiel de l’hydrogène natif, comme ressource énergétique, dans le monde ?

Je m’appuie pour répondre sur une estimation des flux identifiés dans le monde, effectuée il y a trois ans, qui ne tient compte que de deux des quatre types de roches mères abritant de l’hydrogène natif que nous connaissons maintenant… En se limitant aux roches mantelliques et mafiques, les calculs aboutissaient à 23 millions de tonnes par an, ce qui correspond à un quart de la consommation actuelle. Si on considère par ailleurs l’apport éventuel issu de la matière organique, on obtient plus de 350 000 ans de réserves d’après Brian Horzfield, chercheur au GFZ. Il faut tenir compte du fait que l’on rapporte le calcul à la consommation actuelle d’hydrogène, qui est très limitée aujourd’hui. Donc en résumé les chiffres sont encore très incertains mais la ressource est là et l’hydrogène naturel pourrait devenir la plus importante source de ce gaz décarboné.

À quel horizon l’hydrogène natif peut-il devenir une filière industrielle ?

Est-ce que dans cinq ans 5 % de l’hydrogène sera d’origine géologique, ou est-ce que ce sera dans dix ans ? Est-ce que dans dix ans, ce sera 50 %, ou 90 % ? Je n’en sais rien. Pour moi, rien ne s’oppose, au niveau de la géologie, à ce que l’hydrogène natif prenne beaucoup d’importance. Mais ça n’empêche qu’il faut du temps. Ces dernières semaines, les mesures de concentration effectuées dans le bassin lorrain, que certains médias ont présentées comme la preuve que l’hydrogène français allait abreuver l’Europe, peuvent laisser penser que le démarrage de la production de l’hydrogène natif est imminent… Ce n’est pas ce qui va se passer. Il reste encore un travail important d’évaluation pour savoir réellement la quantité qu’il y a dans une zone ou une autre, et la mettre en production. Et si on fait une comparaison avec le monde des hydrocarbures, une fois qu’on a fait une découverte, c’est-à-dire qu’un premier puits a trouvé du gaz ou du pétrole, le temps de faire ce qu’on appelle la « délinéation », à savoir l’évaluation exacte de la quantité qu’on possède, de concevoir les installations de production adaptées… c’est au minimum cinq ans, et souvent le double. Cette échelle de temps, pour la production d’hydrogène natif, vaut sans doute aussi d’ailleurs pour l’utilisation de l’hydrogène dans le mix énergétique. Les électrolyseurs, présentés comme des installations d’ores et déjà disponibles ne sont pour la plupart pas encore construits. Le fait qu’ils soient abordables, cela aussi relève du futur.

L’hydrogène extrait du sous-sol sera-t-il utilisé sur place ou transporté à l’autre bout du monde ?

Il s’agit, je crois, d’abord, de choix politiques. Il faut cependant prendre en compte le fait que l’hydrogène est moins simple à transporter que le méthane ou le pétrole. Chercheurs et industriels y travaillent, un premier « hydrogénier » a été mis au point pour transporter le gaz liquéfié, en 2022. On envisage d’ailleurs plutôt, à présent, de transporter le gaz comprimé plutôt que liquéfié. Fondamentalement, puisque le transport de l’hydrogène est compliqué, parce qu’il s’agit d’une très petite molécule, qui tend à fuir facilement, on peut aussi avoir intérêt à réfléchir un peu plus à l’autonomie des territoires sur le plan de l’énergie. Doit-on forcément créer un marché mondial de l’hydrogène, comme on l’a fait pour les hydrocarbures ? En Europe, à l’évidence, les avis divergent. Les Allemands semblent vouloir produire de l’hydrogène en Mauritanie ou en Namibie, le transporter et le consommer chez eux. En tant que citoyenne, je ne suis pas convaincue que ce soit une bonne approche. J’observe que certains choix industriels stratégiques semblent, implicitement, dessiner une préférence : en France, l’engouement de l’État pour l’avion à hydrogène implique bien qu’il y en aura dans tous les aéroports du monde…

Les ressources en hydrogène natif sont-elles mieux réparties que les ressources pétrolières ?

Certains le disent. Personnellement, je ne sais pas, cela ne me semble pas aussi clair. Ne serait-ce que parce qu’une découverte n’est pas nécessairement suivie d’une mise en production ; nombre de découvertes de gaz naturel ne sont pas exploitées, parce qu’économiquement ce n’est pas rentable ou que le gisement pas assez important. On n’a pas encore suffisamment de recul sur l’économie du système pour savoir si on pourra produire l’hydrogène partout où il sera découvert. Mais, assurément, il y a des situations où il ne sera pas rentable d’expédier à l’autre bout du monde l’hydrogène extrait, mais tout à fait judicieux de l’utiliser in situ pour produire l’électricité nécessaire localement. Au-delà de ce choix, il s’agit de répondre à la question, posée déjà par les éoliennes ou les électrolyseurs, de la meilleure manière de penser la maille énergétique d’un système. Et, par ailleurs, il est clair qu’en sur le plan des capacités de production, les deux pays en tête de la course sont les États-Unis et l’Australie.


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